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    Assis sur un rocher,

    un enfant regarde la mer

    et ses reflets d'argent.

    Il rêve qu'il est officier

    d'un beau bateau tout blanc

    allant de terre en terre

    pour retrouver son père

    disparu dans les flots,

     beaucoup trop tôt

    comme tant de marins

    dans la mer, sa maîtresse

    le laissant orphelin

    et en pleine détresse...

    Mais sa pensée s'égare

    et n'était pas première,

    s'il s'évadait souvent,

    c'était pour des pays,

    des îles sous le vent

    remplis de beaux jouets

    et mille sucreries...

    comme tous les enfants,

    et chaque jour ainsi

    Il se levait d'un bond

    courroucé par son rêve.

    "Au diable mes illusions,

    je m'octroie une trêve"

    se disait-il, debout

    "plus tard, j'aurai le temps..."

    pensait-il sur l'instant

    "c'est mon père avant tout

    qui me manque sur l'heure

    ma mère est toute triste

    et souvent je la vois

    elle se cache et elle pleure

    cette vision m'attriste,

    je frissonne et j'ai froid

    moi, le fils du Toinou

    le marin de Bretagne,

    disparu dans les flots

    à bord du Kenavo"

     

    Ainsi c'est chaque jour

    à la sortie d'école

    que le fils du Toinou

    s'assoit sur ce rocher

    parmi les herbes folles

    et tous le voit passer

    chaque salut de main

    de ses frères, les marins

    et leurs bateaux qui fument

    chaque corne de brume

    qui revient vers le port

    lorsque descend le soir

    est un geste d'espoir

    sur un funeste sort.

    l'espoir d'un lendemain...

    un espoir de marin.

     

     

     

     

     

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    Spi tendu, l'Orchidée fendait les flots en grand largue par vent arrière. Ti-Albert maintenait la barre, balancine serrée, pour garder la bôme de la grand voile perpendiculaire au vent.

     

    Des odeurs de cuisine flattèrent agréablement les narines des deux hommes placés à la poupe.

     

    -Mo pe gagne faim ! Bon nanna ! S'écria le créole en roulant des yeux.

     

    -Tu as raison Ti ! Ça sent bon ! Allons voir ! Bloque la barre !

    Ils descendirent l'échelle conduisant à l'office. Au même instant le carillon placé au milieu du carré bien dégagé sonnait les douze coups de midi. Moon, vêtue d'un paréo et d'un haut constellé de fleurs de frangipanier achetés à Hawaï préparait langouste et calamars grillés accompagnés de riz blanc et de jeunes pousses de bambous, le tout saupoudré de safran et de curcuma.

     

    -Mo pe gagne faim ! Répéta le créole.

     

    Chris et Moon éclatèrent d'un rire qui devint très vite... général.

     

    Deux jours s'écoulèrent ainsi. La monotonie commença à envahir les mètres carrés du fifty.

     

    Ils avaient dépassé les Maldives depuis trois cent miles lorsqu'un fait nouveau se produisit.

     

    Ti-Albert, accoudé au balcon arrière, les pieds dans l'eau, se leva brusquement, comme piqué au vif en vociférant les cent diables. Se dressant vers la surface, dessinant des figures de huit ou tournoyant sur eux-mêmes, une dizaine de squales à la silhouette reconnaissable et de toutes tailles engageait une phosphorescence effrénée de danses rituelles.

     

    Blême, Ti-Albert souffla dans sa conque, appelant le couple occupé à une tâche fastidieuse...l'inventaire de la cambuse. En entendant la « voix des dieux », Chris et Moon se ruèrent sur le pont, croyant l'affaire sérieuse. Mais ils ne découvrirent que le créole sautant sur le pont comme un cabri et au bord de l'apoplexie.

     

    -Que se passe-t-il Ti-Albert ? Fit Chris, à la limite du fou-rire.

     

    -Patron...Moiselle...venez... là...voir ! Nez-nez-pointes ! Beaucoup !...

     

    -Nez-nez-pointes ?!!!..qu'est-ce ?...demanda Moon, incrédule.

     

    -c'est un terme à eux pour désigner le mako, un requin aux dents incurvées vers l'intérieur...sans doute fit Chris.

     

    En voyant la mimique du mauricien, gesticulant en tous sens, doigts en avant pour conjurer le sort, ils se libérèrent du fou rire jusqu'alors contenu.

     

    -Yo !...aides moi patron, pou l'amour du doux Jésus...ils ont chatouillé mes pieds s'écriait-il...

     

    Chris coupa court.

     

    -Venez Ti, nous allons déjeuner...nous verrons après ce que nous pouvons faire.... !

     

    Une heure plus tard, Ti-Albert préparait sa vengeance. Il commença à monter la ligne...vingt mètres de filin de 16 en polyester auquel il attacha un fût de plastique en guise de flotteur médian, le tout terminé d'une chaîne

    pourvue d'un émerillon d'affourche auquel était accroché à un ain boetté, une thonine de vingt cinq livres.

    Il laissa couler le filin à bâbord du voilier, attachant la partie supérieure à un winch d'écoute. Le flotteur partit à la dérive et se stabilisa à une dizaine de mètres puis il s'assit et attendit.

     

    L'attente ne fut pas longue. Une traction brutale entraîna le flotteur vers le fond pour réapparaître et disparaître à nouveau. Le visage du créole était inexpressif, impassible. La vengeance est un plat qui se mange froid et Ti-Albert avait bien l'intention de manger du requin ce soir. Tous ses sens semblaient accaparés par ce bras à demi tendu qui retenait le filin. Une nouvelle secousse plus forte l'obligea à mettre genoux à terre. Il s'arc-bouta en déplaçant le poids de son épaule afin de donner plus de force à sa traction puis abaissa la ligne jusqu'à la lisse afin de freiner la puissance de son adversaire. S'il connaissait la nature de celui-ci, il en ignorait encore la masse. Il avait souvenance d'un jeune requin-demoiselle que son père et lui avaient remonté après plus de quatre heures d'inlassables efforts....

     

    La tension fut telle qu'il laissa filer la ligne, la retenant toutes les trois secondes et la rabaissant vers la lisse pour freiner la descente.

     

    Vingt minutes !....vingt minutes de ce petit jeu épuisant durant lequel l'animal cherchait encore à reconquérir sa liberté. Ti-Albert savait que tout était pratiquement terminé lorsqu'il put la maintenir au même point sans plus d'efforts.

     

    Une fois le requin accolé au flanc du voilier, ils le halèrent sur le pont, Moon y prenant part, maniant la gaffe comme une experte pour le hisser.

    Aussitôt, d'une main habile, le créole glissa le nœud coulant, soulevant la tête. Le filin d'acier pénétra en arrière des yeux du requin puis il serra de toutes ses forces, entrant profondément dans sa peau, derrière l'articulation de l'os maxillaire. Presque aussitôt, levant prestement son gourdin plombé, il l'abaissa violemment à trois reprises sur le dessus de son crâne plat, en récitant à chaque fois une prière vantant la vaillance de son adversaire. D'un mouvement puissant, l'animal, surpris et traumatisé, donna de terribles coups de queue puis quelques secondes plus tard il roula sur le côté et ne bougea plus.

     

    Moon aperçut ses yeux, inexpressifs, encore luisants qui la regardaient de façon sinistre. Elle eut un léger frisson et ébaucha une larme devant toute cette violence.

     

    Le croyant mort, elle avança la main afin de le toucher mais Ti-Albert la retint prestement par le bras.

    -NON ! Moiselle !...mort blanche encore dangereuse...

     

    Instinctivement, elle recula. Effectivement, des spasmes agitèrent le squale. Balayant de sa queue l'espace, il pouvait encore tuer quelqu'un. A mesure que les secondes passaient, les soubresauts devinrent plus faibles puis disparurent. Il était mort.

     

    Alors, Ti-Albert lui prit doucement la main et la dirigea vers la gueule de l'animal qui baillait, indécente, révélant des rangées de dents triangulaires.

     

    -Voilà pouquoi...Moiselle...fit-il en soupirant

     

    Le spécimen était beau. Il avait la tête large, un corps fusiforme terminé par un appendice caudal aux lobes symétriques. Le dos était gris foncé, les flancs gris clair et le ventre blanchâtre. Les nageoires uniformément grises et la ligne placée en avant de la queue se serrant latéralement en deux surfaces horizontales désignaient l'appartenance du prédateur. La denture confirmait l'identité. Contrairement à ce qu'avait dit le créole, ce n'était pas un mako mais un requin blanc....bébé certes mais un blanc de deux mètres cinquante.

    En happant la boëtte, il avait englouti près d'un mètre cinquante d'avançon et l'ain, en se débattant, s'était planté profondément dans sa paroi stomacale, occasionnant de sérieux dégâts et facilitant son agonie.

     

     

     

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  • Le lendemain, dès l'aube, Chris monta sur le pont, échangea quelques civilités matinales avec le créole et glissa le long du roof pour regarder l'océan. 

     

    Les heures passèrent....

     

    Le soleil était au zénith et Moon n'était pas encore levée. Chris descendit aux nouvelles. Parfaitement reposée, la jeune femme était lovée sur la couche, impudique, sensuelle... de quoi faire attraper un infarctus au vieux Ti-Albert...

     

    En refermant la porte, Chris sourit en repensant aux événements de la veille. La nuit avait été fortement agitée. Le dîner copieux n'avait pas, comme à l'habitude, facilité le sommeil. Moon avait commencé à parler de tout et de rien, du passé qu'elle quittait, de l'avenir qu'elle désirait. Couché à ses côtés, Chris avait regardé ce nouvel amour qui fleurissait et qui l'emmenait jusqu'au bout de ses rêves d'adolescent.

     

    Il avait posé la main sur son épaule et, délicatement, l'avait glissée le long de son dos. D'une caresse aveugle, il avait trouvé la courbe de ses reins cambrés, arrogants de beauté plastique et suivi instinctivement l'arrondi subtil de ses hanches. Moon avait senti la paume de ses mains habiles, errante et avide, toucher son corps et remonter vers son visage qu'elle avait frôlé amoureusement d'un geste apaisant, plein d'assurance. Ses lèvres avaient effleuré sa joue brûlante, butinant la commissure du fruit mûr, ourlé, comme éclaté pour y poser enfin un baiser tendrement passionné.

     

    Moon était restée tranquille, étendue, comme entraînée dans un rêve qu'elle désirait érotique. Elle avait frémi lorsque sa main s'était infiltrée dans le frou-frou soyeux de son chemisier, errant délicieusement sur sa chair exacerbée. Comme par maladresse, il s'était aventuré à la déshabiller, s'attardant aux endroits les plus sensibles, lui procurant ce plaisir exquis jusqu'au complet dénuement. Il avait touché son corps chaud et doux, laissé couler doucement ses lèvres le long de sa poitrine qu'il avait entouré d'un chapelet de baisers pour remonter jusqu'à son cou d'une grâce ineffable. Puis, il l'avait pénétré. Une paix bienfaisante les avait envahis au contact de leurs forces tranquilles, un moment particulier qui n'appartenait qu'à ceux qui s'aiment.

     

    Elle avait semblé inerte comme paralysée par un rêve dont elle avait du mal à se débarrasser, qu'elle ne pouvait oublier parce qu'un courant brûlant, violent et merveilleux les avait secoué tout entier, dans cette intense sauvagerie qui leur avait procuré des frissons étourdissants et interminables. Puis, son bassin avait ondoyé lentement jusqu'au paroxysme, un mélange de plaisir et de douleur, à la limite de l'éclatement, qui avait monopolisé toutes les fibres de son corps.

    Alors, Les bras de Moon, en serres puissantes, l'avaient entouré, l'enserrant, le comprimant, bloquant sa respiration, courant le long de ses reins pour remonter aussi vite vers sa nuque. Les doigts de Chris s'étaient infiltrés dans sa chevelure souple, tel un soc, la ramenant vers lui, rapprochant son visage jusqu'au souffle qui lui parvenait, chaud, saccadé, pour y déposer des baisers appliqués et légers. Les yeux clos, le corps en effervescence, comme électrisé, Moon avait à peine senti Chris qui se déversait en elle...son orgasme, par osmose, avait suivi, violent et démesurément long.....

     

    La tension s'étant relâchée, un bien-être les avait envahi. Ils avaient laissé leur corps apaisé se détendre sur la couche devenue trop petite par rapport au bonheur qu'ils avaient éprouvé.


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  • Le créole connaissait tous les coins intéressants ; il les commentait à mesure qu'ils avançaient. Étirée sur trente cinq kilomètres carrés, Colombo surprenait par sa médiocrité architecturale. Il y avait bien quelques bâtiments de l'époque coloniale disséminés dans le centre mais encore fallait-il ou y résider ou n'avoir rien à faire d'autre pour en examiner les détails baroques...

     

    En quittant le voilier, la veille, ils avaient rasé de leur ombre matinale les environs du fort dominé par l'ancien phare. De nombreux magasins affichant fermé construits en briques rouges constituaient Chatham et York Street ; quant au Galle Face, un hôtel construit en 1864 par des Britanniques et renommé dans toute l'Asie, Chris le connaissait déjà pour y avoir séjourné quinze jours avant de gagner Bangkok. C'était à proprement parler l'un des seuls monuments susceptible de mériter le détour. Chris eut une pensée délicate pour une de leurs clientes d'une Principauté illustre dont il avait fait connaissance lors d'une réception élégante et très classe....c'était avant de rencontrer Moon aussi n'eut-il pas honte de moralement rosir...au souvenir de l'Eléphant Bleu.

     

    Ti-Albert les promena dans Pettah, le long des échoppes de Main Street, traversant le marché aux éventaires somptueux de fruits, légumes et épices ; puis, ils s’arrêtèrent prés du lac pour déguster des mangues délicieuses, se laissant portés par l'alizé spirituel qui hante perpétuellement le musée près de Cinnamon Garden...

     

    Le soir tombé, ils regagnèrent le port et, après un repas « léger » constitué de langouste et de gambas marinés au safran, ils s'endormirent bercés par le clapotis des vaguelettes sur la carène.

    ------

     

    Ils quittèrent Colombo le lendemain dès neuf heures. Quelques nuages parsemaient le ciel jusqu'à la ligne bleue de l'horizon. Dans la cabine, Moon dormait encore. Chris s'était levé de très bonne heure pourtant, en montant sur le pont, Ti-Albert était déjà au travail, vérifiant le gréement ou corrigeant la barre pour naviguer au prés. Les yeux fixés sur le bord extrême du monde, vigilant, il semblait chercher une ligne familière, soudainement reconnaissable...les Maldives.

     

    -ça va mieux ? demanda Chris

     

    -Mmm...fit le créole, laconique, en balançant la main de haut en bas.

     

    Il fallait reconnaître que, depuis Colombo, celui-ci n'avait pas touché à une seule goutte d'alcool et cette abstinence forcée et quelque peu brutale lui avait occasionné une migraine carabinée s'ajoutant à l'insomnie d'une nuit passée à la belle étoile.

     

    Les nuits à la belle étoile...Ti-Albert...il connaissait ; elles faisaient partie intégrante de sa vie...aussi nombreuses que les jonques circulant en Mer de Chine et par tous les temps. Le bougre était d'une trempe exceptionnelle. Chris pensa qu'il serait mort cent fois à sa place. Aussi, lorsqu'il avait émis l'hypothèse qu'il risquait d'attraper la crève en restant sur le pont, le Créole l'avait regardé dans les yeux, amusé et lui avait lancé : 

     

    -ou capable croire...patron...ou capable croire ?....

     

    Chris n'avait pas insisté, passant outre la sécurité de son seul équipage.

     

    L'orchidée montait à l'assaut des vagues, profitant d'une brise de seize nœuds, louvoyant de soixante dix degrés en serrant le vent pour remonter son lit à plus de trois nœuds. Ti-Albert manœuvrait le voilier de main de maître.... Chris en était heureux.


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    Ti-Albert

     

     

     

    L'alizé léger et transparent qui enveloppait l'atoll était chargé du parfum des abutilons qui flottait comme un brouillard invisible, tombant sur eux comme un sommeil léger. Il était temps de repartir. De gros nuages chargés approchaient à grande vitesse et le Havilland tanguait devant l'assaut répété des mini vagues.

     

     

     

     

     

    -Piste de Grand Baie... ! Ici FA 605 B 24, en provenance de Colombo, Ceylan...QAB...

     

     

     

    -Vous êtes autorisés... 605 !

     

     

     

    -QED ?

     

     

     

    -Elle vous attend en début de piste 2... suivez la ! Terrain dégagé...bienvenue à l’île Maurice !

     

     

     

    Richard commença à descendre en bouclant la piste pour en prendre l'axe. Il frôla la cheminée de la raffinerie sucrière et la chaîne hôtelière en construction étirée le long du sabot de la baie.

     

     

     

    Diane et Anh Dào se réveillèrent au moment où les roues touchèrent la piste. Le petit avion ricocha quelques secondes et suivit la voiture pilote jusqu'au hangar métallique situé en bout du tablier. Un factionnaire administratif vérifia leurs papiers, tamponna quelques formulaires avec un sourire blasé et esquissa une politesse affectée inhérente à sa fonction.

     

     

     

    Lorsqu'ils quittèrent le T.A.C., ils marchèrent durant trois cents mètres. Parvenus au réservoir, Richard s'avança vers un homme endormi dans une charrette aux grosses roues de bois et tirée par une vache à bosse.

     

    -La casse.. ? dit-il en le secouant doucement.

     

     

     

    L'homme ouvrit un œil, maugréa et commença à se déplier en se réveillant. Lorsqu'il fut sur ses jambes, il se balança d'un pied sur l'autre puis, résolu, leva timidement sa casquette de base-ball et souhaita un « bonjour » d'un ton bourru, ce qui fit rire la petite Anh Dào.

     

     

     

    Il était grand et maigre... Il possédait une abondante chevelure noire et son visage mat indiquait qu'il pouvait avoir la quarantaine... et 90 % de sang indien dans les veines.

     

     

     

    -... la Casse ? répéta-t-il à moitié dans les vaps..puis, moi la Casse ! Oui patron !.... ?...

     

     

     

    Richard pensa qu'il avait sans nul doute flirté avec quelque alcool durant la veille pour être dans cet état euphorique.

     

     

     

    -Vous m'entendez ?...

     

     

     

    L'homme leva les yeux, l'aperçut enfin et hocha la tête.

     

     

     

    Rassuré, le reporter continua sur sa lancée.

     

     

     

    -Je suis le frère de Chris Desmond ! hurla -t-il...vous comprenez ?!

     

     

     

    Ti-Albert...c'était son nom...leva la tête, esquissa une grimace qui ressemblait à un sourire.

     

     

     

    -bonzour..ki manière. ?..

     

     

     

    -Mo bien...ou kose français ?

     

     

     

    -Oui..mossieur...mo parler Français !

     

     

     

    Sorti miraculeusement de sa léthargie éthylique, il les aida à monter dans le char et, prenant appui sur le timon, fit avancer l'animal amorphe d'un léger coup de scion.

     

     

     

    Durant le kilomètre qui restait à couvrir entre l'aérodrome et le village, Ti-Albert répondit aux questions que lui imposait Richard. C'est ainsi qu'il apprit comment Chris avait connu le Créole...une belle histoire d'amitié qui durait depuis deux ans.

     

     

     

     

     

     

     

    -Chris ! Si tu avertissais Richard de l'arrivée de notre bébé !...

     

     

     

    -Pas encore !...nous avons le temps...il ne doit venir qu'en août !

     

     

     

    -En juin !....répondit Moon

     

     

     

    -Quoi ?...

     

     

     

    -En juin. ! cria-t-telle..notre bébé ne doit venir qu'en juin ! ... comptes !.... je suis de deux mois...Alors ?

     

     

     

    Chris déplia ses doigts à la façon d'un enfant qui hante les salles de classe... et commença ....deux...trois....qu......huit...neuf ! mmm...exact ! Tu as raison ! en juin...pourquoi ais-je dit en août ?

     

     

     

    -tu pensais sans doute à une autre femme!...s'pas ? Fit-elle, taquine.

     

     

     

    -Ah oui...Tiens ... Pourquoi pas !...mmm...voyons...Krystal ?...non ! Tori ?...non plus ! Oui, peut-être bien Kimberley ! Répondit-il, jouant le jeu... connaissant Moon...dangereux.

     

     

     

    En effet, Moon partit au quart de tour...

     

     

     

    -Qui sont ces femmes !!!...que je leur arrache les yeux ! Jeta-t-elle, sournoise......

     

     

     

    A bord de l'Orchidée de mer, un fifty de vingt cinq mètres loué à Hawaï, la vie se déroulait ainsi, sans secousse, depuis trois semaines.

     

     

     

    Partis d'Oahu en début décembre, ils avaient fêté la nouvelle année à Sydney après deux semaines de mer. Le temps d'emmagasiner quelques provisions et ils repartaient en direction de l'Indonésie, passaient le détroit de Malacca et abordaient à Ceylan où ils avaient l'intention de rester une semaine. Janvier était là, une période idéale pour naviguer et profiter au mieux des beautés de l'île.

     

     

     

    Colombo n'était pas à proprement parler une ville pittoresque mais Chris et Moon n'en avait que faire. L' hawaïen qui les avait accompagnés avait attrapé une forte fièvre en traversant le chapelet îlien de La Sonde et ils avaient dû le débarquer d'urgence à Singapour. Il fallait le remplacer.

     

     

     

    Une fois ancrés au port, ils s'étaient mis à la recherche d'un bon marin désireux d'effectuer le voyage en aller simple jusqu'à l'île Maurice. Ils s'étaient rendus à la capitainerie. Un homme courtois les avait reçus. Le cinghalais était grand, de corpulence moyenne. Vêtu d'une chemisette kaki et d'un short anglais, il frisait la trentaine. Civilement, il les pria de s'asseoir.

     

     

     

    Chris exprima sa requête. L'homme réfléchit un moment puis, les regardant dans les yeux....

     

     

     

    -En effet...j'ai quelqu'un qui pourrait vous intéresser...c'est un bon marin...j'étais enfant qu'il exerçait déjà avec son père, un homme bon et loyal. Il est originaire de l'île Maurice et souhaite y retourner.

     

     

     

    -Mais...c'est excellent ça !...où....

     

     

     

    -Attendez ! Je n'ai pas fini ! ...c'est une excellente recrue...MAIS...

     

     

     

    -car il y a un mais.... ? ….souligna Richard

     

     

     

    -....sans gravité....venez !

     

     

     

    Ils suivirent un couloir étroit, passèrent une porte et aboutirent dans une salle de cinquante mètres carrés comportant...deux cellules.

     

     

     

    Richard tiqua.

     

     

     

    Dans l'une d'elles, il distingua une forme allongée sur un grabat en jute grossier. L'atmosphère était insoutenable, un mélange de moisi, d'alcool auxquels venaient s'ajouter des exhalaisons nauséabondes de crasse et d'urine.

     

     

     

    Le préposé tapa de ses clefs sur les barreaux.

     

     

     

    -La casse ! Lève-toi! tu as du beau monde qui vient te voir !

     

     

     

    -Ey !...ne me dites pas que c'est cet individu auquel je dois faire confiance ?

     

     

     

    -Attendez !...cet homme est parfaitement honnête !

     

     

     

    -c'est la raison pour laquelle vous l'avez enfermé...sans doute ? Ironisa Chris...

     

     

     

    --Non ! Ici, nous l'appelons la casse. La raison en est simple. Laissez moi vous expliquer. Si, après, il ne vous convient pas....vous pourrez disposer...je ne vous blâmerais pas...OK monsieur Desmond ?

     

     

     

    -OK !...mais soyez convaincant... fit Chris en regardant Moon.

     

     

     

    Cette dernière semblait compatir et montrait, comme à l'ordinaire, beaucoup plus de tolérance.

     

     

     

    -Son nom est Ti-Albert. Il a une trentaine d'années. C'est un excellent marin, courageux et honnête...mais comme vous avez pu le constater, il a un gros défaut....lorsqu'il est à terre et seulement, s'il n'a aucun engagement...il visite tous les bars du lieu où il se trouve. Résultat : ayant l'alcool difficile, il déclenche des bagarres mémorables. En une nuit, il peut dépenser toute sa paye...en libations ou en remboursement de la casse qu'il a occasionnée. Mis à part cela, je vous le répète...il est absolument sobre et très sérieux lorsqu'un contrat lui est offert ! Je me porte garant de cet état de fait !

     

    Maintenant...c'est à vous de décider.

     

     

     

    -Il y a longtemps qu'il est là ? Enfermé ?

     

     

     

    -trois jours !...

     

     

     

    -je m'en serais douté !...ça schlingue !

     

     

     

    -Pardon ?...

     

     

     

    -rien ! Laissez tomber ! Une expression occidentale !

     

     

     

    Chris réfléchit deux secondes, rechercha l'assentiment de sa compagne et à sa mine compatissante ....

     

     

     

    -Bon ! Je vais vous faire confiance...je veux bien l'engager...s'il est aussi bon marin que vous le dites...MAIS...car moi aussi, j'ai un mais....si j'ai le moindre pépin le concernant, je vous le renvoie...avec ma note de frais...si je dois payer les dégâts éventuels.....D'acc ?

     

     

     

    -D'accord ! ça marche ! laissez moi vous dire autre chose...qui va peut-être vous surprendre...Ti-Albert est comme un frère pour moi et si j'emploie des mesures aussi draconiennes à son égard...c'est pour le préserver, le soustraire à une calamité plus importante encore....aller au bout du désespoir...vous comprenez ce que je veux dire ?

     

     

     

    -Tout-à-fait...mais je prend quand même. Cette manière me paraît un peu esclavagiste mais l'idée d'être un philanthrope ne me déplaît en aucune manière...ça ne m'occasionne pas, comme à certains....de l'urticaire....répondit Chris en plaisantant.

     

     

     

    Et c'est ainsi que Ti-Albert entra au service du jeune couple. Le lendemain, en possession d'une gueule de bois carabinée, il s'était complaisamment offert de les guider à travers la ville pour une visite générale....sans passer par les bistrots !

     

     

     

     

     

     

     


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  •  

    AOUT 1963...

     

    -To !... Viens !....

     

    Richard leva la tête. Les pieds disparaissant sous la ligne claire du lagon, la chevelure gonflée par le vent iodé de la barrière de récifs, l'enfant balayait de ses mains délicates le sable limoneux du rivage, quêtant des coquillages nacrés du plus bel effet.

     

    Diane, allongée à ses côtés, livrée aux caresses perfides du soleil tropical, somnolait. Sa peau satinée, dorée comme du miel, imprimait sur l'ocre du front îlien une éphélide impudique.

    Il se redressa et laissant la nymphette bercée par l'alizé brunir en intégral, il se dirigea vers l'enfant.

     

    Huit jours avaient passé. Il avait fait l'aller-retour jusqu'à Washington, remis les documents accompagnés du rapport de mission à l'Organisation. Son travail était terminé. Aussi avait-il décidé de prendre un long congé et ce, malgré le refus et le chantage de l'Administrateur.

    C'est ainsi qu'accompagné d'une amie et de sa fille, ils avaient pris l'air deux jours après, s'accordant un périple autour du continent océanique.

     

    De toutes les latitudes, les vingtièmes parallèles sont parmi les plus beaux du monde. Ils avaient trouvé cette île surgissant des flots après quelques errements. Richard n'en avait pas vu d'aussi magique.

     

    De la lisière des nuages, elle ressemblait à un navire encalminé. La douceur du matin naissant avait ceint l'atoll d'une brume légère et irisée. Le lagon transparent, le chatoiement des coraux vivaces et l'eau bleutée constellée d'étoiles scintillantes avaient accroché leur regard, envoûtant les éphémères voyageurs qu'ils étaient.

    Séduits par le charme nouveau de l'instant, ils avaient amerri à quelques encablures de l'île, le long d'un chenal d'accès.

     

    Maintenant, le Havilland, flatté par la brise de mer, attendait comme un signe, l'empreinte d'une mélancolie salvatrice pour repartir.

     

    Le sable brûlant crissait sous ses pieds. Il s'approcha de l'enfant.

     

    -To !...c'est quoi, ça ?...dit la fillette

     

    L'insecte, muni de longues pattes, courait sur l'eau tel un patineur sur glace, cherchant à éviter le doigt curieux qui cherchait à l'attraper.

     

    -C'est un halobate...Anh Dào...plus communément appelé punaise d'eau...précisa le reporter.

    Richard avait prononcé le mot magique...punaise. L'enfant retira prestement son doigt et laissa l'insecte poursuivre son chemin dans le lagon. Il sourit, amusé par le manège.

     

    Un sifflet admiratif fusa derrière eux. Diane, décente, s'était approchée en catimini, surprenant leur conversation...à quatre pattes.

    Richard la tira par le pied, la faisant tomber puis il s'assit sur elle, la bloquant de ses cuisses puissantes. Il se pencha, l'embrassa doucement, croisant ses doigts dans les siens. Soudain,

     

    -...un ennemi à trois heures ! S'écria-t-elle en riant.

     

    Anh Dào se jeta contre eux, taquine, se joignant à leur naïve et sincère hilarité. Il y eut un silence. Alors l'enfant avança doucement sa main, décroisa leurs doigts pour la glisser lentement entre les leurs.

     

    Richard se mit à repenser à leur première rencontre. Cinq ans déjà. Diane travaillait comme interprète aux Nations Unies.

    Célibataire avec un besoin irrépressible d'avoir un enfant, de préférence adopté. En effet, elle estimait qu'il y avait suffisamment d'orphelins de par le monde pour préférer égoïstement en concevoir un pour soi_

     

    Un enfant était un enfant, quelle que soit sa nationalité ou sa race. Ils ont autant sinon plus besoin d'amour à donner comme à recevoir.... disait-elle.

     

    Elle avait donc contacté l'association les enfants du Mékong pour parrainer, dans un premier temps, une petite fille du Viet-Nam en vue d'une prochaine adoption. Un an plus tard, munie de toutes les accréditations nécessaires, elle était prête à aller la chercher à Hanoi, au Tonkin.

     

    Richard avait été chargé par le Sous-secrétaire de l'accompagner pour récupérer l'enfant prénommée Anh Dào, ce qui signifie Fleur de cerisier. 

     

    L'affaire n'avait pas été simple. Comme toutes les administrations en période trouble, il y avait une mauvaise communication. Diane parlait six langues dont le vietnamien et pourtant le dialogue avait du mal à passer. Le pays sortait tout juste de la guerre contre l'impérialisme français et des révoltes éclataient en territoire du sud. Il n'était pas question de se laisser abuser par une autre administration occidentale....disaient-ils

    Depuis 1955, le pays était une poudrière. L'insurrection était aux portes de Saïgon et les conseillers militaires américains dépêchés par les Etats-Unis tentaient de résoudre le problème à grand renfort de diplomatie dans un pays opposé à toute forme d'ingérence extérieure...au demeurant sans résultat.

    *

    Diane avait mal choisie son époque pour aller chercher l'amour d'une enfant......

     

    Enfin, à force de palabres, de quiproquos, de désorientation administrative due aux prémices d'un conflit fratricide, ils avaient réussi à récupérer l'enfant, apeurée, traumatisée par nos incessantes et stériles allers et venues à l'orphelinat....La pauvre Anh Dào était venue à se demandait à quelle sauce elle allait être mangée....on mangeait bien du chien....pourquoi pas Elle... se disait-elle....

     

    Néanmoins, après un mois de vie commune, toute crainte avait disparu. Avec beaucoup d'amour, Diane avait conquis sa petite Fleur de cerisier.....

     

     


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  •  

    L'endroit ressemblait à un immense gruyère. De profondes et innombrables cavités parcouraient en tous sens la montagne. Le roc à sa base était sillonné de rails et de traverses supportant d'énormes wagonnets remplis à ras bord de minerai ou de remblai. Ils parcouraient les galeries, poussés par des hommes, harassés par l'effort intense qu'ils fournissaient mais trop fiers pour courber la tête ou plier l'échine.

     

     

     

    Il avançait avec précaution, se collant à la paroi. Étagées en paliers successifs, des plate-formes de bois étaient aménagées le long de corniches où déambulaient des gardes en uniforme munis de lourds fouets de cuir.

     

     

     

    Disséminés autour de la « chambre » d'extraction, armés de pioches à manche court, des moines à masque de cire ahanaient sous la peine, extrayant et remplissant des seilles qu'ils portaient pour finir jusqu'aux wagonnets.

     

     

     

    Plus bas, des pistes avaient été creusées pour accueillir le remblai sortant du foudroyage. Le minerai brut remontait sur des tabliers roulants puis mis en caisses par quelques gardes détachés au conditionnement. La dernière étape consistait, sans doute, à réceptionner les contenants et les acheminer jusqu'aux véhicules stationnés en surface.

     

     

     

    Richard était sidéré. Le bruit était supportable sans plus ; et pourtant, jusqu'au moment où il avait ouvert le lourd huis de bois du tunnel, aucun bruit révélateur ne lui était parvenu. En levant la tête, le reporter en comprit la raison. Il aperçut d'immenses rectangles marrons adhérant à la voûte et tenus par des claveaux de fer: des panneaux acoustiques absorbants...efficace !

     

     

     

    L'atmosphère était étouffante de chaleur, de poussière qui prenait à la gorge. Richard devait photographier rapidement. Il sortit son reflex et commença à bombarder de clichés l'incroyable spectacle. Il n'arrêta qu'après avoir terminé les deux rouleaux de pellicule....il détenait sa preuve, ce pourquoi il était venu....Il pouvait partir.

     

     

     

    Sans se retourner, il rebroussa chemin. En arrivant à quelques mètres de la lourde porte de bois, conscient de son impuissance, Il eut néanmoins une pensée compatissante pour tous ces asservis, la seule consolation qu'il puisse leur accorder...pour l'instant !

     

     

     

    Mandaté par différents pays de l'ONU pour accomplir ce reportage, Richard savait que la Commission, munie de ses preuves, allait statuer...mais sans trop y croire. L'Empire du Milieu avait un siège depuis 1971 mais bien que n'ayant pas encore de droit de veto en temps que membre permanent, Richard savait qu'elle possédait une forte influence sur les décisions onusiennes....

     

     

     

    Soudain, une envie irrépressible d'éternuer s'empara de lui, l'amenant jusqu'à l'apoplexie. Hélas, il ne put la réprimer. L'écho fut tel qu'il eut l'impression que toute la montagne allait s'effondrer. Il entendit aussitôt des ordres en chinois suivi d'un remue ménage invraisemblable dû à la surprise.

     

    Quelques coups de feu éclatèrent, tirés Dieu sait où....Richard ne tenait pas à le savoir. Il repassa prestement l'ouverture et s'apprêtait à refermer l'huis lorsqu'une balle entama le bois à quelques centimètres de sa tête. Il était découvert !

     

     

     

    Il remonta rapidement le chemin parcouru avec une seule idée en tête : il fallait fuir le plus vite possible...et le plus loin.

     

    Dans la lamaserie, le coup de feu avait été entendu, le long tunnel faisant office de caisse de résonance.

     

    Lhamo était au rendez-vous à la boiserie pour le conduire dans le labyrinthe.

     

     

     

    Une dizaine de minutes plus tard, ils parvinrent au pivot de l'extérieur. Dehors, c'était le branle bas de combat. Allées et venues incessantes, ordres, tirs sporadiques sur une cible illusoire....le moine jeta un œil...la sortie était impossible pour l'instant. Il se retourna, regarda Richard, réfléchit puis il fit signe au reporter d'attendre et redescendit l'escalier de pierre.

     

    Quelques minutes plus tard, il remonta, suivi d'un jeune moine. Ce dernier ne dit mot. Il semblait à la fois apeuré et digne. Lhamo lui parla à l'oreille et poussa le passage. Le jeune moine s'y faufila et l'ombre jaune referma derrière lui. C'est à ce moment là que Richard comprit.

     

    Il désapprouvait mais l'enjeu était trop important pour faire du sentiment. Pour les Chinois, il fallait un responsable et ils venaient de leur en fournir un... ce, afin de faire cesser toute cette effervescence martiale et retrouver ainsi une quiétude favorable à sa « mission ».....

     

     

     

    -N'ayez crainte...mon ami...dit Lhamo, Il ne risque rien. Au pire, ils vont le conduire à la carrière. Quant à parler, aucun souci, Champo...c'est son prénom..est muet de naissance et s'est porté volontaire...pour la Communauté.

     

     

     

    Sur ces mots sacrificiels, il ouvrit légèrement le passage et jeta un œil. Le chemin était libre. Richard lui donna une tape amicale sur l'épaule, lui sourit et sortit. Il remonta le chemin de prière et parvint à l'endroit où il avait caché la corde. L'aube commençait à poindre. L'horizon était rougeoyant.

     

     

     

    Quelques minutes plus tard, il repassait le mur d'enceinte, manqua de peu une patrouille passant en petites foulées et se fondit dans la nuit jusqu'à son véhicule. A peine dans le 4x4, il entendit au loin des camions démarrer. L'alerte était chaude. Les Chinois avaient ils été dupes du coupable tout désigné ? Richard ne voulait pas le savoir.

     

     

     

    Le reporter, en les prenant de vitesse, arriva sans problème à Lhassa. Par des chemins détournés, il parvint à la ruelle, derrière l'hôtel et retrouva l'atmosphère sereine de la cour. Il était resté absent plus de trois heures. Pas question de se reposer, il fallait décamper.

     

     

     

    A peine sorti de l'agglomération, il aperçut la lumière des phares du convoi militaire arrivant en catastrophe sur la grande voie. Il était à moins d'un kilomètre....il pensa...les Chinois n'étaient pas aussi bêtes que Lhamo le croyait...

     

     

     

    Richard freina, éteignit les phares, sortit de la route, effectua un slalom entre les roches et s'immobilisa derrière un « chorten » d'où il pouvait apercevoir la piste..puis il coupa le contact. Les bruits portaient loin ; les massifs amplifiaient les sons.

     

     

     

    Tapi dans l'ombre, il vit les lourds véhicules passer. Une vingtaine. L'effectif s'était accru. L'importance de la découverte était à la mesure de leur mobilisation quasi générale.

     

    Dès que l'arrière de la colonne ne fut qu'un point à l'horizon, il reprit la route et roula pleins feux jusqu'au lac. Dix minutes plus tard, il survolait les montagnes.

     

     

     

    Cependant, il n'était pas encore sorti d'affaire. Il n'avait qu'une seule crainte : celle d'apercevoir dans le ciel devenu interdit les Migs de l'aviation chinoise qu'il savait stationnés à Tsegang, à deux cents kilomètres de la « résidence des Dieux ». Aussi, regardait-il en permanence vers l'est, s'attendant à les voir fondre sur lui.

     

    Indubitablement, l'alerte avait été donnée mais Richard spéculait sur ses chances concernant la durée d'exécution. Il ne restait plus qu'une cinquantaine de kilomètres à couvrir pour être en sécurité. Une fois au Bhoutan, il serait sauvé.

     

    Les minutes passèrent, impitoyables, angoissantes. Les jointures de ses mains étaient blanches à force de se crisper sur le manche.

     

     

     

    Soudain, ce qu'il redoutait arriva. Des appareils...à huit heures...niveau quatre supérieur. Il remonta vers les nuages, cherchant l'échappatoire.

     

    Les Migs se rapprochaient dangereusement. Le reporter pria sans trop y croire pour qu'ils ne soient pas munis de missiles armés.

     

    Déjà, le Mercury perçait les nuages. Richard fit une prière muette en fermant les yeux. Après tout, rien ne laissait supposer aux Chinois qu'ils étaient en présence de celui qui détenait les preuves irréfutables de l'infâme traitement auxquels les Tibétains étaient soumis !......mais s'il voulait s'en convaincre, il jouait imprudemment avec un conditionnel de la chance...plus qu'imparfait !

     

     

     

    Encore une fois, Dieu fut avec lui. Après avoir traversé les nuages, les hauts plateaux du Bhoutan apparurent, sillonnés par le tranquille Torsa...il était sauvé. Il commença à décompresser en descendant par paliers vers la vallée. Pourtant, une question le taraudait ; pourquoi les Chinois n'avaient pas tiré ?

     

     

     

    Il avait bien une explication. La plus logique consistant à admettre le fait qu'ils doutaient de l'identité de l'occupant du Mercury. Pour eux, celui qu'ils recherchaient se trouvait toujours au Tibet, se terrant, attendant le moment propice pour leur fausser compagnie. Tout avait été si bien orchestré par Richard qu'il était impossible, pour eux, que le suspect soit déjà en l'air...en toute impunité. Une logique cartésienne pourtant démolie par l'anonymat du véhicule laissé au bord du lac.....

     

     

     

    Bof !....pensa-t-il...après tout...qu'importait...Il était sauf...et c'était bien comme ça.

     

    Richard eut une dernière pensée pour « l'ombre jaune », le sacrifice du jeune moine et le vieux sage...et regarda le soleil. Lointain inaccessible, serein, l'astre du jour se levait dévoilant le visage nu de la Terre. Il sourit. Il allait faire une belle journée.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • LA PORTE DE L'ENFER

     

    Une paroi de pierre...ça semblait inepte..pensa-t-il..il y avait nécessairement un passage dérobé, sournoisement caché, qu'il n'avait pas vu..et dépassé !

     

    Il revint sur ses pas en examinant le terrain en détail. Dans un angle, un ruissellement anormal filtrait, venant de la voûte. De chaque côté, l'eau coulait doucement, continue, érosive. Le froid avait gelé les coulées anciennes, rendant la paroi pareille à un miroir, certes un peu terne et déformé par les aspérités ; néanmoins, le reporter se voyait assez distinctement pour se reconnaître..... » l'ombre de l'eau rejoint la lumière »...il y avait une explication logique à ce second indice, persuadé qu'il l'avait sous les yeux.

     

    En effet, l'angle placé entre les écoulements était légèrement humide mais sans plus. Il sortit un briquet et, attentivement, analysa la surface. Il faillit bondir de joie. Ce qu'il touchait n 'était pas minéral mais végétal...du bois...une porte de deux mètres masquée par un artifice pierreux !

     

    Il la poussa doucement et sentit une légère résistance. La porte était épaisse. L'huis bougea. Une lumière crue l'aveugla, traçant tel un laser la paroi, créant des reflets saisissants de couleurs variées, imprégnées en clair-obscur....un jeu chromatique sombre et éclatant.

    A l'aide d'une ferrure récupérée près de la porte, il dégagea de la roche friable une gangue dorée, difforme, boursouflée.

    Richard connaissait ce genre de métal ravi à la montagne. Il en avait vu de toutes grosseurs, de toutes formes dans « sa » concession garimpo d'Itaituba au Brésil. Ce fut la raison de son départ, attaqué par un mal insensible à la quinine qui n'épargne aucun être humain....Par un malheureux coup du sort, il avait dû y rester deux mois entiers et s'il en était parti, ce n'était pas grâce à Charùtao. L'homme, un pilote chevronné mais un peu « loco » devait le récupérer après un reportage de deux jours. Il l'avait oublié. Pour survivre, il avait dû faire comme les autres....chercher « el oro »....

    C'est bizarre comme les souvenirs s'attachent, se fragilisent lorsque la souffrance tient une place prépondérante dans leur histoire...

    Heureusement, il y avait aussi de bons côtés...Manaïta, par exemple, une jeune et jolie « caboclo » qui avait partagé son existence éphémère là-bas.....

    Soudain, il eut froid. Il prit conscience que le moment ne se prêtait pas aux sentiments privilégiés du passé. Il rangea la pépite dans un mouchoir qu'il enfouit dans sa poche et revint à la porte.

     

    En ouvrant le passage, il eut l'impression que le souvenir de la belle métisse l'effleurait encore mais il s'estompa très vite comme une allumette devant le spectacle désolant qui surgissait devant lui......


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  • ….T'es trop con pour aller ailleurs.

    C'était le leitmotiv de mon père lorsque, adolescent, l'envie me prenait d'aller ailleurs, me débarrasser de ce carcan familial qui m'étouffait.
    Comment peut-on vouloir empêcher un enfant qui n'en était plus un mais qui n'était pas encore un adulte de partir, explorer ce qui l'entourait ou plus loin, au delà de son regard de gamin. L'enfance a ceci de merveilleux c'est qu'elle nous harcèle de pays extraordinaires, un peu magiques dans lesquels nous pouvons évoluer sans quitter le paysage familial. Mais l'enfance a aussi ses contraintes qui brisent les rêves, des servitudes qui nous enchaînent et nous retiennent prisonniers durant de longues, très longues années.

    Durant mon enfance, entouré d'un père qui n'était pas toujours là ou présent et d'une mère autoritaire, perfectionniste, j'ai « poussé » comme une plante, sans discuter, enfermé dans mon statut d'enfant. Je devais travailler à l'école, faire mes devoirs à la maison, me taire à table, manger proprement, ne pas amener des copains ou copines à la maison, jouer le moins possible sauf à des jeux éducatifs et aller au lit sous le coup de huit heures. Il n'y avait pas encore de télévision, la radio était réservée aux grandes personnes et mes jouets étaient quasiment inexistants...mais pourquoi aurais-je eu un ballon ? Je n'avais pas de copains et mon père, fidèle à son rang au sein de la République trouvait malsain de jouer avec moi.....un gamin.
    Aussi les noëls étaient tristes même si le sapin que nous mettions dans le salon trônait sans ces petites faveurs multicolores attachées aux cadeaux. Quelques boules défraîchies, un peu enfoncées pendaient ça et là, quelques guirlandes, un serpentin de petites lampes, un reste de l'année d'avant...sans grande illusion. Par contre, tous les ans, j'avais droit à un joli stylo ou un livre que m'offraient en commun, ma mère et sa mère...ma grand-mère.
    Pourtant, nous n'étions pas pauvres mais nous n'étions pas riches non plus. Nous étions dans la moyenne...de petits bourgeois... simplement.
    Pour les grandes vacances, j'avais droit aux colonies, ce qui me changeait énormément du système « carcéral » du reste de l'année. Trois mois a s'oxygéner près de l'océan, apprends la discipline en communauté disait mon père...ça va te faire du bien.....A cette époque, je parlais peu, introverti par des années de soumission orale et mes copains n'étaient pas légion....je revenais bronzé mais tout aussi abruti.
    Par contre, ce que mes parents ne savaient pas, c'est que mon acuité auditive diminuait progressivement, ce qui m'enfermait encore plus dans un mutisme forcé du fait que les phrases devenaient souvent des mots que j'essayais de recoller pour en faire une phrase cohérente et au moment opportun où j'en avais enfin compris le sens, il était trop tard pour répondre. Cela avait une allure paternelle de rébellion sans compter le regard inquisiteur de ma mère. Ils ont bien essayé de comprendre pour quelle raison mes notes écrites étaient bien meilleures que celles orales mais en vain.Pourquoi penser à voir un docteur spécialiste ?...j'étais en bonne santé apparente, alors....

    Parvenu à 9 ans, l'âge où l'on est dans la pleine force de l'enfance, désespérés du manque de progrès que j'accomplissais à l'école, ils m'ont placé en institution en tant que pensionnaire. Six années.. .qui ont coûté la peau des fesses (comme on dit), affublé d'un rachitisme latent, six années de galère qui m'ont empêché de me nourrir convenablement au réfectoire (premier arrivé, premier servi...et rien pour le reste), de me défendre auprès des grosses brutes des cours de récréation, de subir les châtiments corporels des professeurs puisque ne répondant pas aux questions qui m'étaient posées et que je n'entendais pas....et j'en passe.
    A cette époque, j'avais un grand père qui travaillait en tant que saisonnier à la campagne. Grâce à lui et Dieu le garde, ce brave homme faisait vingt kilomètres à vélo, une fois par semaine après son travail, pour m'apporter gâteaux et dattes, ce qui permettait, avec ce complément alimentaire, d'enrichir ma nourriture du repas du soir : des croûtons de pain sec que je m'empressais de cacher sous mon matelas et que je grignotais durant la nuit.
    Ma grand-mère, quant à elle, habitait tout près, à quelques kilomètres. Je dois avouer, elle venait, montée sur son solex, plus souvent. Elle, c'était beurre et croissants que je remisais dans un casier fermé à clé et placé comme les autres dans la cour de récréation.
    Le seul problème, c'était le dimanche. Alors que la plupart des internes allaient chez eux. Moi et quelques camarades, nous le passions à l'institution. Normalement, deux dimanches sur quatre, ma grand-mère m'accueillait chez elle où coucher et nourriture m'étaient dispensés à satiété. Il y avait cependant une condition sine qua non à ce privilège. Je devais être nickel, c'est à dire...du sol au plafond....de la tête aux orteils.....sinon...pas question, je restais à la pension.
    Pour les grandes vacances, il y avait un problème et de taille. Mon père était souffrant...un poumon tuberculeux, état qui nécessitait des soins particuliers et mon absence à cause d'une éventuelle contagion. Alors....les vacances....vous avez compris.
    De toute manière, je n'étais pas contre...regagner le cercle familial avec ses contraintes ne m'enchantait guère aussi passais-je les grandes vacances....dans ce cher établissement scolaire. On ne s'y bousculait pas. Autant que je me rappelle, nous étions....un seul : moi.Malgré cette solitude, j'étais heureux.  J'avais le réfectoire pour moi tout seul, je passais fréquemment mes heures à la bibliothèque de l'école...c'est là que j'ai connu Jules Verne, Verlaine, Victor Hugo et tant d'autres qui m'ont fait aimé la littérature et ce besoin inextinguible d'évasion dans des pays lointains.
    A cette époque, je ne me doutais pas que j'allais mettre un pied dans l'inconnu et fouler de mes pas plus tard ces terres qui m'avaient apporté tant de bonheur, enfant.
    Le reste se passe de commentaires...à 15 ans à la maison...rien n'avait changé...toujours les mêmes restrictions jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que mon   apparente débilité chronique était le résultat de la faiblesse de mon audition. Alors, s'ensuivirent quelques interventions, une rééducation progressive et quelques excuses bredouillées dont je n'avais cure....le mal était déjà fait. 


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  • Les deux hommes s'avancèrent vers un coin muni d'un banc de pierre et éclairé par deux lampes à beurre. Ajouré, il donnait sur l'extérieur par une ouverture pratiquée dans le rocher. Un léger bruit attira l'attention du journaliste. Il se retourna. La boiserie se refermait doucement. Le moine le pria de s'asseoir et regarda vers le sillon dentelé de l'horizon.

     

    Les lampes diffusaient une clarté diffuse et faible mais la clarté de la Lune les abreuvait généreusement de ses rayons d'argent.

    Richard resta quelques secondes à regarder d'un oeil inquisiteur le vieux sage qui lui faisait face et qui demeurait muet. Il ne savait quoi penser. Cet homme de foi le passionnait et l'intimidait. Il respectait son silence .

    Il ferma les yeux un instant, envahi par le calme des lieux.

     

     Brusquement, le vieil homme sortit de sa torpeur et prit la parole en le tutoyant,  le regard toujours tourné vers la montagne.

     

    -vois-tu ce paysage....derrière cette embrasure sombre ?

     

    -non bien sûr, vénérable...répondit-il...la nuit malgré la Lune est trop sombre....

     

    -vois-tu...pour toi, je le conçois...l'être simple à l'écoute de ses frères, de ses peines, de sa misère aspire parfois à la fraîcheur du silence vespéral....comme ce soir, mon ami. Leur sacrifice fait parti de ses mantras quotidiens et il n'est pas de nuit où mon âme n'entende leurs lamentations, ne sente leur souffrance et l'impuissance qui me gagne ne s'arrête jamais....ce qui m'amène à parler de ta quête en ces lieux car si le temps m'effleure telle l'ombre d'un khata, il représente pour toi une nécessité vitale.

     

    Il s'arrêta un instant attendant une réaction de Richard qui ne vint pas...par ignorance ou par déférence. Ce dernier semblait subjugué par la voix douce du moine qui s'infiltrait comme une fumée d'opium en lui.

     

     

    Il continua...

     

    -...d'autres hommes avant toi ont foulé ces lieux à la recherche de la Lumière. Pour eux, elle était trop aveuglante, au point de l'ignorer. Comme le puits qui a besoin d'eau, l'ombre a besoin de clarté mais parfois l'ombre de l'eau rejoint la lumière...médites à sa source et ta quête sera terminée. Permets cependant un conseil....mon ami...si la peur t'aveugle, saches que ta loyauté est un miroir...sers t'en. Maintenant....va..et que Bouddha accompagne tes pas.

     

    -Merci...noble vieillard...que Bouddha te bénisse aussi...répondit Richard, légèrement perplexe sur les paroles du Tibétain.

     

    Mais le vieux moine n'entendit pas. A pas lents, il avait déjà regagné les lourdes tentures et telle une ombre, il avait disparu.

     

    Assis, il réfléchissait à l'énigme édictée par le vénérable. Pour l'instant, elle demeurait entière mais en cogitant, il en trouverait la signification...il trouve toujours la solution...

     

     Il se leva et suivit le couloir. Sans connaître la structure des lieux, à mesure qu'il avançait, il descendit une pente qu'il emprunta sur trois cents mètres. Au bout, une salle identique à celle qu'il avait emprunté en arrivant. Plusieurs couloirs partaient du centre. A proximité des passages, des lampes à beurre étaient accrochées. De larges coulées descendaient jusqu'au sol, envahissant les accès obscurs sauf un. L'entrée avait été nettoyée récemment. Il s'approcha, examinant en détail les parois, écoutant au delà des limites de la perception. Aucun son ne lui parvint.  En plongeant dans le tunnel,  muni d'une lampe, il partait à l'aventure mais il savait qu'il avait pris la bonne voie. Il regarda sa montre. Bientôt le jour allait poindre. Il accéléra. Les secondes s’égrenaient. Il avait parcouru une centaine de mètres lorsqu'il aperçut une vivre clarté venant d'un coude du passage....l'ombre a besoin de lumière...avait dit le vieux sage....était-ce là le premier indice ? Selon lui, pas l'ombre d'un doute, il était sur le bon chemin.

     

    Pour conforter son intuition, l'angle dépassé, les lampes étaient plus rapprochées, plus nettes, mieux entretenues. Apparut alors une seconde salle identique à la première. Même topographie, même indice. Il fit vingt pas et, brusquement, cassa la cadence. La lumière devenait plus intense. Placé au milieu, scellé à la voûte, pendait un projecteur d'installation récente. Insolite mais ô combien efficace. Richard voyait distinctement chaque mètre carré des lieux. Un seul couloir partait de la salle, qu'il emprunta, désireux de sortir de ce labyrinthe avant l'aube.

    D'un pas assuré, restant malgré tout sur ses gardes, il allongea la foulée, longeant les courbes, frôlant les angles. Soudain, Il s'arrêta brusquement, interdit...un cul-de-sac. Il jura.


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