• AOUT 1963...

     

    AOUT 1963...

     

    -To !... Viens !....

     

    Richard leva la tête. Les pieds disparaissant sous la ligne claire du lagon, la chevelure gonflée par le vent iodé de la barrière de récifs, l'enfant balayait de ses mains délicates le sable limoneux du rivage, quêtant des coquillages nacrés du plus bel effet.

     

    Diane, allongée à ses côtés, livrée aux caresses perfides du soleil tropical, somnolait. Sa peau satinée, dorée comme du miel, imprimait sur l'ocre du front îlien une éphélide impudique.

    Il se redressa et laissant la nymphette bercée par l'alizé brunir en intégral, il se dirigea vers l'enfant.

     

    Huit jours avaient passé. Il avait fait l'aller-retour jusqu'à Washington, remis les documents accompagnés du rapport de mission à l'Organisation. Son travail était terminé. Aussi avait-il décidé de prendre un long congé et ce, malgré le refus et le chantage de l'Administrateur.

    C'est ainsi qu'accompagné d'une amie et de sa fille, ils avaient pris l'air deux jours après, s'accordant un périple autour du continent océanique.

     

    De toutes les latitudes, les vingtièmes parallèles sont parmi les plus beaux du monde. Ils avaient trouvé cette île surgissant des flots après quelques errements. Richard n'en avait pas vu d'aussi magique.

     

    De la lisière des nuages, elle ressemblait à un navire encalminé. La douceur du matin naissant avait ceint l'atoll d'une brume légère et irisée. Le lagon transparent, le chatoiement des coraux vivaces et l'eau bleutée constellée d'étoiles scintillantes avaient accroché leur regard, envoûtant les éphémères voyageurs qu'ils étaient.

    Séduits par le charme nouveau de l'instant, ils avaient amerri à quelques encablures de l'île, le long d'un chenal d'accès.

     

    Maintenant, le Havilland, flatté par la brise de mer, attendait comme un signe, l'empreinte d'une mélancolie salvatrice pour repartir.

     

    Le sable brûlant crissait sous ses pieds. Il s'approcha de l'enfant.

     

    -To !...c'est quoi, ça ?...dit la fillette

     

    L'insecte, muni de longues pattes, courait sur l'eau tel un patineur sur glace, cherchant à éviter le doigt curieux qui cherchait à l'attraper.

     

    -C'est un halobate...Anh Dào...plus communément appelé punaise d'eau...précisa le reporter.

    Richard avait prononcé le mot magique...punaise. L'enfant retira prestement son doigt et laissa l'insecte poursuivre son chemin dans le lagon. Il sourit, amusé par le manège.

     

    Un sifflet admiratif fusa derrière eux. Diane, décente, s'était approchée en catimini, surprenant leur conversation...à quatre pattes.

    Richard la tira par le pied, la faisant tomber puis il s'assit sur elle, la bloquant de ses cuisses puissantes. Il se pencha, l'embrassa doucement, croisant ses doigts dans les siens. Soudain,

     

    -...un ennemi à trois heures ! S'écria-t-elle en riant.

     

    Anh Dào se jeta contre eux, taquine, se joignant à leur naïve et sincère hilarité. Il y eut un silence. Alors l'enfant avança doucement sa main, décroisa leurs doigts pour la glisser lentement entre les leurs.

     

    Richard se mit à repenser à leur première rencontre. Cinq ans déjà. Diane travaillait comme interprète aux Nations Unies.

    Célibataire avec un besoin irrépressible d'avoir un enfant, de préférence adopté. En effet, elle estimait qu'il y avait suffisamment d'orphelins de par le monde pour préférer égoïstement en concevoir un pour soi_

     

    Un enfant était un enfant, quelle que soit sa nationalité ou sa race. Ils ont autant sinon plus besoin d'amour à donner comme à recevoir.... disait-elle.

     

    Elle avait donc contacté l'association les enfants du Mékong pour parrainer, dans un premier temps, une petite fille du Viet-Nam en vue d'une prochaine adoption. Un an plus tard, munie de toutes les accréditations nécessaires, elle était prête à aller la chercher à Hanoi, au Tonkin.

     

    Richard avait été chargé par le Sous-secrétaire de l'accompagner pour récupérer l'enfant prénommée Anh Dào, ce qui signifie Fleur de cerisier. 

     

    L'affaire n'avait pas été simple. Comme toutes les administrations en période trouble, il y avait une mauvaise communication. Diane parlait six langues dont le vietnamien et pourtant le dialogue avait du mal à passer. Le pays sortait tout juste de la guerre contre l'impérialisme français et des révoltes éclataient en territoire du sud. Il n'était pas question de se laisser abuser par une autre administration occidentale....disaient-ils

    Depuis 1955, le pays était une poudrière. L'insurrection était aux portes de Saïgon et les conseillers militaires américains dépêchés par les Etats-Unis tentaient de résoudre le problème à grand renfort de diplomatie dans un pays opposé à toute forme d'ingérence extérieure...au demeurant sans résultat.

    *

    Diane avait mal choisie son époque pour aller chercher l'amour d'une enfant......

     

    Enfin, à force de palabres, de quiproquos, de désorientation administrative due aux prémices d'un conflit fratricide, ils avaient réussi à récupérer l'enfant, apeurée, traumatisée par nos incessantes et stériles allers et venues à l'orphelinat....La pauvre Anh Dào était venue à se demandait à quelle sauce elle allait être mangée....on mangeait bien du chien....pourquoi pas Elle... se disait-elle....

     

    Néanmoins, après un mois de vie commune, toute crainte avait disparu. Avec beaucoup d'amour, Diane avait conquis sa petite Fleur de cerisier.....

     

     

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