• Asservissement

     

    L'endroit ressemblait à un immense gruyère. De profondes et innombrables cavités parcouraient en tous sens la montagne. Le roc à sa base était sillonné de rails et de traverses supportant d'énormes wagonnets remplis à ras bord de minerai ou de remblai. Ils parcouraient les galeries, poussés par des hommes, harassés par l'effort intense qu'ils fournissaient mais trop fiers pour courber la tête ou plier l'échine.

     

     

     

    Il avançait avec précaution, se collant à la paroi. Étagées en paliers successifs, des plate-formes de bois étaient aménagées le long de corniches où déambulaient des gardes en uniforme munis de lourds fouets de cuir.

     

     

     

    Disséminés autour de la « chambre » d'extraction, armés de pioches à manche court, des moines à masque de cire ahanaient sous la peine, extrayant et remplissant des seilles qu'ils portaient pour finir jusqu'aux wagonnets.

     

     

     

    Plus bas, des pistes avaient été creusées pour accueillir le remblai sortant du foudroyage. Le minerai brut remontait sur des tabliers roulants puis mis en caisses par quelques gardes détachés au conditionnement. La dernière étape consistait, sans doute, à réceptionner les contenants et les acheminer jusqu'aux véhicules stationnés en surface.

     

     

     

    Richard était sidéré. Le bruit était supportable sans plus ; et pourtant, jusqu'au moment où il avait ouvert le lourd huis de bois du tunnel, aucun bruit révélateur ne lui était parvenu. En levant la tête, le reporter en comprit la raison. Il aperçut d'immenses rectangles marrons adhérant à la voûte et tenus par des claveaux de fer: des panneaux acoustiques absorbants...efficace !

     

     

     

    L'atmosphère était étouffante de chaleur, de poussière qui prenait à la gorge. Richard devait photographier rapidement. Il sortit son reflex et commença à bombarder de clichés l'incroyable spectacle. Il n'arrêta qu'après avoir terminé les deux rouleaux de pellicule....il détenait sa preuve, ce pourquoi il était venu....Il pouvait partir.

     

     

     

    Sans se retourner, il rebroussa chemin. En arrivant à quelques mètres de la lourde porte de bois, conscient de son impuissance, Il eut néanmoins une pensée compatissante pour tous ces asservis, la seule consolation qu'il puisse leur accorder...pour l'instant !

     

     

     

    Mandaté par différents pays de l'ONU pour accomplir ce reportage, Richard savait que la Commission, munie de ses preuves, allait statuer...mais sans trop y croire. L'Empire du Milieu avait un siège depuis 1971 mais bien que n'ayant pas encore de droit de veto en temps que membre permanent, Richard savait qu'elle possédait une forte influence sur les décisions onusiennes....

     

     

     

    Soudain, une envie irrépressible d'éternuer s'empara de lui, l'amenant jusqu'à l'apoplexie. Hélas, il ne put la réprimer. L'écho fut tel qu'il eut l'impression que toute la montagne allait s'effondrer. Il entendit aussitôt des ordres en chinois suivi d'un remue ménage invraisemblable dû à la surprise.

     

    Quelques coups de feu éclatèrent, tirés Dieu sait où....Richard ne tenait pas à le savoir. Il repassa prestement l'ouverture et s'apprêtait à refermer l'huis lorsqu'une balle entama le bois à quelques centimètres de sa tête. Il était découvert !

     

     

     

    Il remonta rapidement le chemin parcouru avec une seule idée en tête : il fallait fuir le plus vite possible...et le plus loin.

     

    Dans la lamaserie, le coup de feu avait été entendu, le long tunnel faisant office de caisse de résonance.

     

    Lhamo était au rendez-vous à la boiserie pour le conduire dans le labyrinthe.

     

     

     

    Une dizaine de minutes plus tard, ils parvinrent au pivot de l'extérieur. Dehors, c'était le branle bas de combat. Allées et venues incessantes, ordres, tirs sporadiques sur une cible illusoire....le moine jeta un œil...la sortie était impossible pour l'instant. Il se retourna, regarda Richard, réfléchit puis il fit signe au reporter d'attendre et redescendit l'escalier de pierre.

     

    Quelques minutes plus tard, il remonta, suivi d'un jeune moine. Ce dernier ne dit mot. Il semblait à la fois apeuré et digne. Lhamo lui parla à l'oreille et poussa le passage. Le jeune moine s'y faufila et l'ombre jaune referma derrière lui. C'est à ce moment là que Richard comprit.

     

    Il désapprouvait mais l'enjeu était trop important pour faire du sentiment. Pour les Chinois, il fallait un responsable et ils venaient de leur en fournir un... ce, afin de faire cesser toute cette effervescence martiale et retrouver ainsi une quiétude favorable à sa « mission ».....

     

     

     

    -N'ayez crainte...mon ami...dit Lhamo, Il ne risque rien. Au pire, ils vont le conduire à la carrière. Quant à parler, aucun souci, Champo...c'est son prénom..est muet de naissance et s'est porté volontaire...pour la Communauté.

     

     

     

    Sur ces mots sacrificiels, il ouvrit légèrement le passage et jeta un œil. Le chemin était libre. Richard lui donna une tape amicale sur l'épaule, lui sourit et sortit. Il remonta le chemin de prière et parvint à l'endroit où il avait caché la corde. L'aube commençait à poindre. L'horizon était rougeoyant.

     

     

     

    Quelques minutes plus tard, il repassait le mur d'enceinte, manqua de peu une patrouille passant en petites foulées et se fondit dans la nuit jusqu'à son véhicule. A peine dans le 4x4, il entendit au loin des camions démarrer. L'alerte était chaude. Les Chinois avaient ils été dupes du coupable tout désigné ? Richard ne voulait pas le savoir.

     

     

     

    Le reporter, en les prenant de vitesse, arriva sans problème à Lhassa. Par des chemins détournés, il parvint à la ruelle, derrière l'hôtel et retrouva l'atmosphère sereine de la cour. Il était resté absent plus de trois heures. Pas question de se reposer, il fallait décamper.

     

     

     

    A peine sorti de l'agglomération, il aperçut la lumière des phares du convoi militaire arrivant en catastrophe sur la grande voie. Il était à moins d'un kilomètre....il pensa...les Chinois n'étaient pas aussi bêtes que Lhamo le croyait...

     

     

     

    Richard freina, éteignit les phares, sortit de la route, effectua un slalom entre les roches et s'immobilisa derrière un « chorten » d'où il pouvait apercevoir la piste..puis il coupa le contact. Les bruits portaient loin ; les massifs amplifiaient les sons.

     

     

     

    Tapi dans l'ombre, il vit les lourds véhicules passer. Une vingtaine. L'effectif s'était accru. L'importance de la découverte était à la mesure de leur mobilisation quasi générale.

     

    Dès que l'arrière de la colonne ne fut qu'un point à l'horizon, il reprit la route et roula pleins feux jusqu'au lac. Dix minutes plus tard, il survolait les montagnes.

     

     

     

    Cependant, il n'était pas encore sorti d'affaire. Il n'avait qu'une seule crainte : celle d'apercevoir dans le ciel devenu interdit les Migs de l'aviation chinoise qu'il savait stationnés à Tsegang, à deux cents kilomètres de la « résidence des Dieux ». Aussi, regardait-il en permanence vers l'est, s'attendant à les voir fondre sur lui.

     

    Indubitablement, l'alerte avait été donnée mais Richard spéculait sur ses chances concernant la durée d'exécution. Il ne restait plus qu'une cinquantaine de kilomètres à couvrir pour être en sécurité. Une fois au Bhoutan, il serait sauvé.

     

    Les minutes passèrent, impitoyables, angoissantes. Les jointures de ses mains étaient blanches à force de se crisper sur le manche.

     

     

     

    Soudain, ce qu'il redoutait arriva. Des appareils...à huit heures...niveau quatre supérieur. Il remonta vers les nuages, cherchant l'échappatoire.

     

    Les Migs se rapprochaient dangereusement. Le reporter pria sans trop y croire pour qu'ils ne soient pas munis de missiles armés.

     

    Déjà, le Mercury perçait les nuages. Richard fit une prière muette en fermant les yeux. Après tout, rien ne laissait supposer aux Chinois qu'ils étaient en présence de celui qui détenait les preuves irréfutables de l'infâme traitement auxquels les Tibétains étaient soumis !......mais s'il voulait s'en convaincre, il jouait imprudemment avec un conditionnel de la chance...plus qu'imparfait !

     

     

     

    Encore une fois, Dieu fut avec lui. Après avoir traversé les nuages, les hauts plateaux du Bhoutan apparurent, sillonnés par le tranquille Torsa...il était sauvé. Il commença à décompresser en descendant par paliers vers la vallée. Pourtant, une question le taraudait ; pourquoi les Chinois n'avaient pas tiré ?

     

     

     

    Il avait bien une explication. La plus logique consistant à admettre le fait qu'ils doutaient de l'identité de l'occupant du Mercury. Pour eux, celui qu'ils recherchaient se trouvait toujours au Tibet, se terrant, attendant le moment propice pour leur fausser compagnie. Tout avait été si bien orchestré par Richard qu'il était impossible, pour eux, que le suspect soit déjà en l'air...en toute impunité. Une logique cartésienne pourtant démolie par l'anonymat du véhicule laissé au bord du lac.....

     

     

     

    Bof !....pensa-t-il...après tout...qu'importait...Il était sauf...et c'était bien comme ça.

     

    Richard eut une dernière pensée pour « l'ombre jaune », le sacrifice du jeune moine et le vieux sage...et regarda le soleil. Lointain inaccessible, serein, l'astre du jour se levait dévoilant le visage nu de la Terre. Il sourit. Il allait faire une belle journée.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 16 Mars 2015 à 02:31

    Bonjour, tu as tout reconstitué ou tu as déduis d'après des indices ? J'ai cru lire un thriller passionnant ! Bon lundi, amitié

    2
    Lundi 16 Mars 2015 à 08:44

    Bonjour Elena,

    Je vais être Normand...un peu reconstitué...d'après des indices fournis par Richard. Merci pour le com. et bon lundi...pluvieux (giboulées de saison) en ce qui me concerne (S.Ouest Aquitaine). Amitié.

    3
    Lundi 16 Mars 2015 à 22:15

    Bonsoir Chris .... Tu vois, moi, ce que je retiens dans ton texte, ce n'est pas l'action de "Richard" ... un reporter  aventurier qui oeuvre certainement pour une noble cause mais qui connait les risques ... mon émotion va au jeune moine, victime consentante ... En tout cas, un récit qui tient en haleine ....  

    bisous et  bonne soirée

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    4
    Vendredi 20 Mars 2015 à 05:06

    Bonjour, j'espère que tu vas cntinuer, c'est une histoire passionnante et on veut savoir la suite. Bonne fin de semaine, amitié

    5
    Vendredi 24 Avril 2015 à 22:24

    Bonsoir Chris... J'espère que chez toi le ciel est aussi bleu... Mon amitié pour toi. Anne.

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