• L'ombre jaune le regarda, impassible, comme dans l'attente d'une réaction. Richard n'était pas impressionnable. Il voyait cela comme une épreuve à l'usage de ses nerfs. 

     

    L' agression salvatrice, la traversée du labyrinthique et obscur souterrain, les effets sonores et inquiétants, tous les ingrédients n'étaient-ils pas réunis ? voulait-il l'éprouver qu'il n'aurait pas agi autrement. Il lui sourit. Peut-être l'ouverture allait-elle lui réserver une autre surprise ? Il pensa, amusé, à un dragon crachant des flammes ; après tout, le Thibet n'était-il pas magique ? Mystérieux ?...

     

     

     

    Richard se rappela du livre écrit en 1929 par Alexandra David Néel, « voyage d'une parisienne à Lhassa ». C'est en chinant du côté des bouquinistes de la rive droite qu'il s'était senti « attiré » par ce vieux livre....qui n'attendait que lui, enfoui parmi les autres. Il l' avait acheté et avait été fasciné par sa lecture facile et détaillée sur le Thibet.

     

     

     

    L'homme qui se tenait devant l'ouverture était saisissant à la limite troublant. Âgé, de taille moyenne, vieux sans nul doute, il l'était, mais la vieillesse ne rapproche-t-elle pas du royaume céleste ?...Richard ne sut pas sur le moment quel phénomène le déroutait chez ce vieillard. Il sentait sa maîtrise, sa force, son pouvoir à travers lui comme une aura qui le submergeait tout entier.

     

    Celui qui l'avait amené se courba humblement et dit d'une voix calme, respectueuse :

     

     

     

    -Maître vénéré...voici l'homme que vous attendiez....

     

     

     

    -Merci frère Lhamo...laisses nous maintenant...retournes là-bas...

     

     

     

    Sa voix était douce, comme portée par les effluves de santal qui montaient de sa personne. Mais son visage...qu'avait-il de si particulier ? Le temps d'une demi-seconde pour parvenir à cerner sa physionomie et Richard mit le doigt sur l'aspect déroutant du personnage...impassible, un regard sans vie et une absence totale de lèvres ; pourtant, le vieux baroudeur pouvait l'affirmer, le Sage n'avait pas ouvert la bouche ; néanmoins, il avait entendu ses paroles.

     

     

     

    -bienvenue...noble étranger. Ne sois pas surpris par ce que tu ne vois pas. Si le doute t'envahit, cherches en toi et tu trouveras. Ignores le sourd qui affirme que le son n'existe pas parce qu'il ne l'entend.

     

     

     

    -télépathie maître ?!...

     

     

     

    -Exact...mon jeune ami. La connaissance des choses est souvent le fruit de la réflexion et de la raison.

     

     

     

    -Vous parlez admirablement ma langue, maître !..

     

     

     

    -je la parle seulement, mon ami. Elle ne me fuit que pour accepter votre existence...car sans elle, vous ne seriez pas. C'est le seul lien qui puisse admettre notre entente.

     

     

     

    -Il y a longtemps que vous...

     

     

     

    -...détenez le miroir de l'esprit ?...je l'ai...qu'importe le temps et ce qu'il est. C'est un principe de la nature humaine aussi désuet pour moi qu'il est important pour vous. Néanmoins, il m'arrive de le sentir. Mais.... asseyons nous.....l'enveloppe dont nous sommes affublés a ceci de désobligeant et de paresseux...c'est qu'elle ne suit pas la pensée qui s'enfuit....comprenez vous ?...

     

     

     

    Richard avait compris. Parler en sous-entendus n'était pas sa matière faible...il le faisait souvent avec son patron...juste pour s'amuser. Le temps que ce dernier comprenne, il pouvait s'éclipser en toute tranquillité sans avoir à subir quelque désobligeante réponse.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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    -ch...tt !...vous tranquille !...moi ami !...lui murmure-t-on à l'oreille.

    Mais Richard avait déjà compris qu'il avait affaire à un ami car s'il ne voyait pas encore son sauveur, il en devinait son identité ; Il flottait dans le réduit comme une odeur d'encens et de prières.

    -maintenant...vous venir...poursuit-il sur le même ton.

     

    Richard se laissa guider. Ils descendirent un étroit escalier de pierre en colimaçon, faiblement éclairé. A mesure qu'ils s'enfonçaient dans les « entrailles » du bâtiment, le reporter distinguait mieux la silhouette du moine.

    Au demeurant, il était aussi grand que lui, osseux. « Le bonnet jaune » comme on les appelait avait un visage d'ascète, émacié et serein. Malgré la maigreur qui le caractérisait, l'expression de sa figure bien qu'étrange provoquait la sympathie. Une lueur vive jaillissait de son regard, ce qui troubla le journaliste. Le personnage qui le précédait dénotait une certaine prestance alliée au rang qu'il devait occuper au sein des Gélukpas.

     

    Après dix minutes d'une incroyable descente, ils débouchèrent dans une grande salle voûtée, pavée de dalles larges et uniformes. Contrairement au dallage supérieur, la surface était régulière et vernie. De la salle partaient de nombreux couloirs édifiés en étoile....c'était « l'antre du Minotaure »...

    Le moine traversa la salle, alluma une torche et s'engouffra dans un des couloirs. Il se retourna et assuré que le reporter le suivait, il continua sa progression dans le labyrinthique souterrain. La fumée de la torche dégageait une odeur acre de graisse de yack mais l'air qui arrivait par nappes suivant les coudes du tunnel obscur était frais, ce qui rendait la marche beaucoup plus supportable. Parfois, les nappes apportaient dans ses effluves inconstantes une odeur particulière de terre humide et de suintement de pierre qui n'étaient pas sans rappeler à Richard ces geôles du Fort de Cartagéna où il était resté prisonnier durant trente quatre jours.

    A travers cet entrelacement de couloirs, de salles et d'escaliers montant et descendant, Richard essayait d'en mémoriser la géométrie essentielle...c'était peine perdue. Ce lieu de « perdition » imbriquait dans l'esprit du reporter un profond malaise ; y revenir seul était quasiment impossible. Pour lui, il était nécessaire qu'il retrouva vite l'atmosphère de la surface quitte à affronter l'armée tout entière de la Chine...

     

    En attendant, il suivait pas à pas l'ombre jaune, pas sérieusement désireux de rester à la traîne. Lorsqu'il vit la fin du long couloir arriver, il poussa moralement un « ouf » de satisfaction, soulagé. Le Gélukpas tira une grille de fer forgé, écarta de lourdes tentures rouges, dévoilant un décor extraordinaire.

    La salle était immense, couvertes d'étagères sur lesquelles reposaient des centaines de milliers de rouleaux de parchemins enrubannés, numérotés, classifiés, le tout avoisinant d'énormes registres aussi épais que cent bibles.
    Devant ce spectacle démesuré, il eut, l'espace d'une seconde, un vertige. Il y avait ici plus de douze siècles d'histoire monastique et humaine, un véritable trésor de connaissance et de sagesse.

    Il resta un moment sur le seuil à contempler cet antre du savoir dans un silence monacal et respectueux.

    Le moine le tira doucement par la manche, l'intimant à le suivre.

    Ils longèrent les rayonnages, louvoyèrent entre d'énormes pupitres encombrés ou vides, croisant moines et moinillons affairés qui les regardaient indifféremment par curiosité ou par bienvenue....Qui se cachait des Chinois ne pouvait être qu'un allié....

    Arrivés devant un cul de sac, le lama heurta un gong qui émit un son sépulcral et interminable. Aussitôt, la boiserie s'ouvrit, lentement et sans bruit.

     

     

     

     


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    Ce matin, la poudreuse a pointé le bout de son nez,

     

    revêtant d'un blanc manteau champs, jardins et forêts.

     

    De ma fenêtre, elle m'est apparue en ouvrant les volets,

     

    accompagnée d'un vent léger, d'une bise froidure.

     

     

     

    Alors je me suis dit....quelle belle nature,

     

    pas un chat aperçu, pas une seule voiture

     

    pour fouler ce tapis de neige blanche et pure

     

    ce paysage hiver préservé par les dieux .

     

     

     

    Et puis , j'ai repensé à ceux qui sont dehors,

     

    aux trahis par la faim, aux pauvres miséreux,

     

    aux laissés sans foyer, sans amour, sans chaleur

     

    qui foulent de leurs pas le début du malheur.

     

     

     

    et de mes yeux trahis, j'ai souhaité de mes vœux

     

    que la neige partisse, que le soleil demeure

     

    éloignant ce frimas qui torture les gueux

     

    enveloppant leur corps d'une douce chaleur.

     

     

     

    Puis la neige est partie, réchauffée par la pluie,

     

    la bise s'en est allée, la nature a ses droits

     

    laissant le paysage reprendre ses esprits

     

    tout au long d'une année et de ses douze mois.

     

     

     

     

     


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    La façade du bâtiment qui s'élevait jusqu'au toit desservait à chacun de ses angles une sorte de tour érigée en barbacane.

     

    Cette architecture supérieure allait lui permettre d'accéder au chemin de prière située derrière la courtine de briques rouges.

     

     

     

    Protégé par un épais bosquet épineux, il prépara les éléments de son escalade. Lorsqu'il fut prêt, il jeta un regard circulaire et tenant le grappin à la manière d'un lasso, d'une torsion puissante il imprima à celui-ci des moulinets de plus en plus rapides, de plus en plus larges puis il lâcha le tout. Le grappin s'envola, tournoya un instant et disparut vers l'inconnu.

     

     

     

    Le bruit qu'il fit en retombant fut à peine perceptible. Pour Richard, c'était toujours trop aussi jura-t-il. Il tira doucement jusqu'à sentir une résistance puis il assura l'appui d'un coup sec et commença à monter.

     

     

     

    A mi-hauteur, il eut la désagréable impression que le filin lui échappait. Soudain, celui-ci se détendit brusquement. Il commença à tomber comme une masse. Il ferma les yeux, attendant la fin de cette chute folle et angoissante. Presque aussitôt, une traction prodigieuse suivie d'une douleur aiguë ressentie à travers le cuir de ses gants jusqu'aux phalanges. Il serra les dents, silencieux. Les pointes d'acier venaient de trouver un nouvel appui. Il tournoya en se balançant un instant et baissa les yeux. Il n'était plus qu'à quinze mètres du sol...il venait de chuter de huit mètres.

     

     

     

    Il inspira profondément, regarda le faîte du filin et recommença à monter. Lorsqu'il toucha les tuiles, d'une détente prodigieuse dictée par la peur ressentie, il posa les pieds sur le sol ferme. Personne. Son cœur cognait à tout rompre. D'un revers de main, il essuya son front en sueur. Lorsqu'il eut retrouvé une respiration normale, Richard remonta le filin et le cacha entre deux poutrelles puis il se mit à reconnaître le terrain.

     

     

     

    Les chapelles se détachaient de la trame céleste en ombres chinoises. Il se faufila entre les colonnes, défiant le silence. Un rai de lumière provenant de l'extrémité du couloir de méditation attira son attention. A mesure qu'il approchait, des voix lui parvinrent. Des chinois. Le mot « kuai » revenait souvent....vite !

     

    Richard allait risquer un œil à l'intérieur lorsqu'il entendit l'écho d'une conversation derrière lui. Deux hommes venaient dans sa direction. Encore vingt mètres et ils seraient sur lui. Il lui fallait une cachette mais il eut beau chercher, aucune issue, aucun renfoncement ne s'offrait à lui. La confrontation allait être inévitable. Au moment où son espoir s'amenuisait, le mur derrière lui se déroba. Il se sentit tiré violemment en arrière tandis qu'une main se plaquait fermement sur sa bouche. Le mur se referma aussitôt, dans un parfait silence. L'action n'avait pas duré trois secondes !.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • A deux cents mètres de l'embranchement, il aperçut une légère dénivellation carrossable. Elle contournait la montagne en traçant un sillon étroit et escarpé qui fuyait en un passage entre deux collines. L'endroit situé en zone d'ombre paraissait sûr.

    Il laissa le 4X4 dans la trouée à l'abri des regards terrestres et aériens. En effet, l'éventualité d'une reconnaissance aérienne dés l'aube si des grains de sable se glissaient dans les rouages bien huilés de la mission n'était pas à exclure.

     

    Le sac de toile en bandoulière, il arpenta le terrain en direction d'une butte qui dominait les postes de garde. Le sol était caillouteux, accidentel. Muni de souliers souples et confortables, il avançait avec facilité. Il mettait un point d'honneur à soigner l'aisance de ses déplacements. Bien dans ses pieds disait-il c'est être bien dans sa tête.

     

    L'étrange conformité des lieux permettait à celui qui abordait le Potala de franchir en divers points l'enceinte de la forteresse sans attirer l'attention des gardes placés sur les principales voies d'accès. Venelles, ruelles médiévales et passages tortueux se succédaient dans un enchevêtrement obscur et silencieux. Il suivit un raidillon bosselé, effleurant d'un pas léger les pavés disjoints.

     Aux abords du temple, un parterre de fleurs aux tons multiples jaillit soudain dans la nuit noire happé par le faisceau de la lune s'échappant des nuages. Il continua sa progression, mesurant ses pas, à l'affût de l'insolite. Il entendit le bruit confus d'une conversation. Il avait de la visite. Il sauta une murette, atterrit dans la cour intérieure d'une habitation, manquant de peu un bac de pierre rempli d'eau.

    Les deux soldats passèrent tout près, s'interpellant à voix haute et riant de boutades dont ils étaient les seuls détenteurs. Puis, ils disparurent, avalés par l'obscurité sereine de la cité.

    L'esplanade était à nouveau déserte. Richard sortit de l'ombre et emprunta un escalier immense gardé par des lions de pierre figés dans l'indifférence. Parvenu aux colonnes sombres de l'entrée, il écouta le bruit du vent qui parvenait de Ngapa à travers l'architecture hélicoïdale des stupas sacrés. Il prit sur la gauche, aborda le sentier qui ceinturait le lavoir et remonta l'enceinte du collège tantrique transformé en un casernement bruyant et sacrilège. 

    Bientôt l'entrée se profila devant lui, gardée par quatre sentinelles. Une jeep et un vieux camion Mig trônaient, parallèles au poste. Groupés en cercle, les hommes s'apostrophaient bruyamment, engagés dans une partie de mah-jong et motivés par quelques yuans posés à terre. Richard sourit. La situation était intéressante. Préoccupés par les enjeux, ils allaient favoriser son ascension vers le but final.

     

     


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    -Tibet 1963-

     

     

     

    Richard enjamba le muret, décrochant au passage quelques pierres qui roulèrent sur le sol inégal avec un bruit sourd. Tapi dans l'ombre, il scruta l'environnement qu'il venait de fouler, épiant le moindre bruit, humant la moindre odeur particulière et humaine qui l'eusse fait se tenir sur ses gardes.

     

     

     

    A pas feutrés, il se coula le long d'une ruelle dont il apercevait à peine les contours. Bien que ses yeux se fussent habitués à l'obscurité, il avait du mal à avancer. Des relents de beurre rance flottaient dans l'air. Instinctivement, il s'essuya le nez d'un revers de main.

     

     

     

    Il faillit s'étaler, dérapant sur des détritus nauséabonds disséminés le long d'un îlot d'habitations archaïques plongées dans une semi-clarté. Aux bruits de voix qu'il percevait, ce devait être un restaurant. Parvenu à l'encoignure d'une maison, la lumière de la rue principale le frappa brusquement. Surpris, il recula, fermant les yeux. Elle était déserte. Face à lui, de l'autre côté de la rue, des véhicules étaient rangés, l'avant tourné dans sa direction. Une chance. Leurs propriétaires devaient sûrement dormir à cette heure avancée...De toutes manières, il n'avait pas le choix.. Il n'allait pas se rendre là-bas à pied.

     

     

     

    Quelques minutes plus tard, il roulait vers l'ouest en direction du monastère de Drepung. Il sourit. Il n'avait pas perdu la main...il y avait bien deux ans qu'il n'avait pas « emprunté » un véhicule...

     

     

     

    Le landercruiser se comportait à merveille et le réservoir était plein. De la main, il toucha son sac de toile, rassuré. La caméra à infrarouge brûlait d'impatience et il avait emporté quelques films supplémentaires. Jusque là tout allait bien. Il entendit au loin le son d'une trompe dung chen suivi d'un battement de tambour sourd et lancinant.

     

     

     

    Les phares trouaient la nuit tranquille, tel un dragon crachant des flammes, avalant chaque kilomètre de terrain aux nuances sulfureuses. Il passa tout près de l'endroit où le Piper était dissimulé. Mentalement, il le perçut aussi nettement que s'il lui était apparu à quelques mètres. Simple construction mentale qu'il s'amusait à extérioriser, à interpréter suivant son bon vouloir.

     

     

     

    Distrait dans ce jeu puéril et inconscient, il faillit manquer l'embranchement qui conduisait à la cité monastique. Il lui restait trois kilomètres pour garer le véhicule en le soustrayant à la vue des patrouilles qui sillonnaient de temps en temps les abords de la colline. Passer entre les mailles du filet martial n'allait pas être une mince affaire.

     

    Néanmoins, trois éléments étaient à considérer :

     

     

     

    -le premier était que la situation politique depuis mars 59 s'était légèrement radoucie et les autorités chinoises avaient décidé d'optimiser favorablement les rapports inter-tibétains d'où l'éventualité d'un relâchement des consignes de sécurité.....

     

    -le second tenait plutôt de sa jeunesse et de son entraînement intensif à remplir pleinement n'importe quelle mission d'infiltration...

     

    quant au troisième...

     

    -on ne l'attendait pas or, lorsqu'on attend personne, on a tendance à fragiliser son attention.

     

     

     

    ...mais il restait lucide. Il savait qu'il allait avoir besoin de toutes ses facultés avec un allié de choix dont il avait toujours bénéficié : le facteur chance.

     

     

     

     

     

     

     


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  • La récolte

     

    A l'aube du premier jour, l'homme se mit debout, tourna la tête vers l'horizon mordoré et regarda le soleil rouge se lever. Hélia, sa compagne, vint frôler son épaule, recherchant le contact. L'homme n'y prêta aucune attention, soucieux. Il venait d'apercevoir l'équipe de Zohra se dirigeant vers les nouvelles plantations. En formation serrée, le groupe tentait de résister aux mini tornades qui secouaient depuis quelques jours le sol de la planète. Le soleil se mourait, causant d'importants bouleversements climatiques qui rendaient la prospection chaque jour plus difficile.

     

    L'homme se souvint des premières années passées sur la Terre, des sources fraîches où il aima se désaltérer ; de la brume qui s'élevait des champs au petit matin, créant des îlots de brouillard parsemés de rosée qui glissait sur la peau jusqu'au trouble. Cette image comme un rêve chaque fois renouvelé durant des nuits interminables l'éloignait de toute sensation temporelle, une obsession entre vie et trépas qu'il conditionnait par égard à son père qui l'avait élevé dans le respect de la nature, des choses et des êtres....Aujourd'hui, tout avait disparu mais lui, l'homme, n'avait rien oublié.

     

    C'est à la fin du règne d'Alpha Première génération d'androïdes de Silicon Valley que les premières chimio-cultures avaient été entreprises. Les nappes de méthane qui dévoraient telle une hydre la surface de la planète avaient nécessité un nouveau système d'exploitation vital aux quelques centaines de colons, les derniers rescapés de l'holocauste, venus s'installer loin d'une Terre surpeuplée en perpétuel conflit entre les humains et les Synthétiques.

     

    Absorbé par les inlassables va-et-vient de l'Argos, le vaisseau qui acheminait les blocs de gennan jusqu'au centre de traitement d'Orosia, l'homme n'entendit pas l'appel holographique annonçant la visite journalière de Zohra.

    Hélia toucha du doigt l'écran de contrôle révélant l'immense couloir du pont-carène reliant Maiapolis à l'île d'Arkhaios. S'avançant dans le champ de lumières, Zohra venait au briefing. Quelques minutes plus tard, sa longue et élégante silhouette apparut dans l'embrasure du sas d'entrée.

    Elle avait beau être une androïde de dernière génération, à chacune de ses apparitions, l'homme ressentait un léger émoi, ce qui rendait Hélia jalouse, au demeurant sans raison logique....quoique....

     

     


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  • Huit coups venaient de sonner au carillon du beffroi lorsque je poussais la porte de mon bureau. Instinctivement, je frissonnais ; l'intérieur était une véritable glacière.

    Dehors, décembre régnait en maître pénétrant les os et bloquant les articulations.

    Au travers des vitres embrumées par le gel, j'apercevais l'univers fantasque des néons multicolores déformés et clignotants dansant tels lucioles et farfadets sous le vent mauvais. Le réveillon de Noël préparait les braises naissantes de 1977.

    Je fermais la porte et poussais avec précaution le verrou qui protégeait mon inspiration et retenait l'affluence des sempiternels raseurs de fin d'année. Si l'on ne pouvait y déroger, je pouvais tout au moins espérer que mon récent retour soit passé inaperçu. J'allumais. La pièce était telle que je l'avais laissée trois mois auparavant, négligée avec méthode, obsédante et intimiste.

    Parmi l'odeur des vieux papiers, l'encre des rotatives et les essences subtiles des meubles en chêne, l'effluve d'un parfum de femme flottait encore, subtilisé à ces choses inanimées qui me contenaient tout entier. Je fermais les yeux à cette évocation délicate, ce fluide lucide et aérien, reste d'une ultime passion.

    J'avais l'impression que passer le reste de la soirée au milieu de ces vingts mètres carrés qui donnaient asile à l'hiver constituerait l'allégorie de mon épitaphe ; pourtant le boss avait été catégorique au téléphone : je devais impérativement terminer la mise en page de mon reportage avant la saint sylvestre. A demi enseveli, mon fauteuil trônait devant un fouillis indescriptible de quotidiens et de journaux concurrents posés sur le bureau à la patine florentine.

    Un des bras était désarticulé, bizarrement suspendu au dosseret lustré. Je l'écartais et me laissais tomber, surpris par la lassitude d'une situation urgente et incontournable.

    A peine assis, je retrouvais au bout de mes doigts la sensation faussement agressive du tissu brocardé aux nuances Régence, une passive osmose qui m'était nécessaire à l'élaboration de chroniques importantes qui constituaient le sel de ma vie.

    Résigné par l'ampleur du travail à accomplir dans un délai aussi court, je commençais à aligner des mots aux accents à la fois imagés, proudhoniens et machiavéliques qui s'emboîtaient entre eux dans une magie habile et solennelle.


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